“Torah, Bible, Coran: les interpréter, est-ce les trahir?”
“Par Alice d'Oléon”
“Les textes sacrés des trois monothéismes sont-ils écrits une fois pour toutes et leurs grilles de lecture sont-elles définitivement verrouillées ? Les traduire, est-ce les trahir ? Quelle latitude entre la lettre et l’esprit ? Eléments de réponse.
«Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. » Ces mots par lesquels débute l’Evangile de Jean peuvent sembler sans équivoque. Et pourtant. Comment comprendre les textes sacrés ? Quelle latitude les croyants peuvent-ils observer par rapport aux Saintes Ecritures ?
La question se pose aussi bien pour l’islam que pour le christianisme ou le judaïsme. Mais pas dans les mêmes termes, puisque si le texte est sacré dans les trois religions, il ne l’est pas de la même manière.
Dans l’islam, le Coran est considéré comme dicté par Dieu à son prophète, il est donc perçu comme étant la parole même de Dieu (Kalam Allah), et donc incréé et immuable. Il est vénéré tel quel, et sa récitation est au cœur du rite musulman. « Par conséquent, personne n’est, en principe, capable de le comprendre pleinement, ni de l’interpréter, ni même de le traduire dans une autre langue humaine », résume Mathieu Guidère, agrégé d’arabe, islamologue et auteur d’Au commencement était le Coran (Gallimard, « Folio », 2018). L’auteur choisit d’ailleurs de placer la première phrase de l’Evangile de Jean en exergue de son ouvrage, afin de « rappeler que le Coran place le Verbe divin au-dessus de tout autre chose puisque le premier verset et la première sourate révélés du Coran sont placés sous le signe du Verbe divin (Iqra !, “Lis !”) ».
En revanche, le principe même de l’interprétation est inhérent aux textes fondateurs du judaïsme, qui s’appuie sur deux enseignements : la Torah écrite et le Talmud, commentaire oral du texte biblique. Les deux sont inséparables.
« La Torah écrite ne s’accomplit que grâce à la Torah orale », écrit la philosophe Catherine Chalier dans Lire la Torah (Seuil, 2014). Si la Torah est, selon la tradition juive, un texte dicté par Dieu à Moïse sur le mont Sinaï, elle diffère par nature du Coran en ce qu’« une fois descendue sur terre, la Torah n’est plus au ciel ; c’est parmi les hommes que se déroule son aventure », précise la spécialiste du judaïsme pour justifier la « longue tradition d’interrogations et d’interprétations renouvelées » que constitue le Talmud.
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Le christianisme, quant à lui, reçoit la Bible comme un texte dont les auteurs ont été inspirés par Dieu. Ce qui prédispose le chrétien à une latitude plus large vis-à-vis de l’Ecriture que le juif ou le musulman. « Le centre de la vie chrétienne, c’est bien le Christ, mort et ressuscité ; ce n’est pas le Livre, même si ce Livre l’annonce, parle de sa venue et de sa résurrection », précise Catherine Chalier. (...)”
[Lido em: Le Monde, 2021-11-29]
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